L'Avoué

Colosses de verre et d’acier, les tours noires de la Fourmilière s’élancent comme des stalagmites vers le ciel. Chacune de ses tours se compose d’une vingtaine d’étages densément occupés, abritant chacun trente précieuses cabines (3 m² d’intimité minutieusement circonscrite, munis de cloisons coulissantes pour un semblant de secret).

Intéressé·e ? Les annonces de location décrivent les équipements de la propriété comme ceci : « lit simple, tablette murale escamotable pour les effets personnels, lucarne ovale pour laisser passer la lumière du jour, service de réveil géré par les concierges alertes, salles communes aux niveaux intermédiaires de chaque tour équipée de télévisions suspendues et de moelleux fauteuils, sanitaires partagés, mais dotés d’articles de toilette renouvelés chaque semaine » et d’une curieuse mention : « restez dignes, devenez locataire chez nous ! »

Il est vrai que ce n’est pas le grand-luxe, mais le loyer est dérisoire, et l’on dit souvent de cet endroit qu’il y fait bon mourir à défaut de vivre : c’est que la Fourmilière, grouillante de vie à toute heure du jour et de la nuit, offre à ses occupant·es les plus faibles et âgé·es la douceur d’un fond sonore ininterrompu pour les accompagner jusqu’à leur dernier souffle.

Vous poussez les portes du bâtiment, le ventre en appétit. Après avoir scruté le site du Mochelin à la recherche d’un restaurant à éprouver, la page d’une enseigne lumineuse a attiré votre regard : O’Pizza. Sa multitude de photos alléchantes et d’avis élogieux vous a immédiatement conquis, en dépit de son emplacement peu idéal au cœur de l’Avoué.

Maintenant installé·e sur les banquettes, vous contemplez le menu déployé devant vous. La carte est vaste, presque écrasante, trop chargée pour que vous puissiez la parcourir en détail : il n’y a, curieusement, aucune pizza parmi les plats proposés — sans doute un souci d’inventaire. Le restaurant est pourtant en effervescence malgré l’absence de sa spécialité caractéristique, un mélange de brouhaha incessant et de musique vibrante remplissant l’espace. Les murs sont ornés d’un patchwork de papiers, journaux, stickers et fragments de magazines, collés de manière anarchique sur une peinture dont vous devinez la couleur sous-jacente — un rouge carmin vibrant. Parmi ces affichages hétéroclites, vous distinguez des annonces intrigantes : « Rendez-vous au Cercle des pierres noires pour l’épiphanie ! », « Il nous attend, rencontrez-le au détour de la Voix ! ».

Un soupir vous échappe devant ces communiqués mystérieux lorsque finalement un·e serveur·se s’approche avec un grand sourire. La clientèle, d’apparence quelque peu déconcertante, semble peu amène — cet homme dans un coin ne cesse de vous scruter — mais le service, lui, se révèle irréprochable.

La Zone, terrain de jeu pour la jeunesse audacieuse et la petite criminalité de l’Arceau, est un ancien complexe usinier à ciel ouvert, où les murs effondrés murmurent les vestiges d’un passé lointain. Il y a plus d’un siècle, un soulèvement populaire a balayé l’industrie polluante enracinée au cœur de ces quartiers, bien avant l’émergence des énergies renouvelables, ne laissant derrière qu’une superficie sablonneuse jonchée de débris et de gravats, cerclée de grilles imposantes hérissées de barbelés et de câbles électriques.

Le lieu n’est pourtant pas déserté : le royaume des immeubles morcelés continue de vibrer, comme l’attestent les graffitis de ses occupant·es discret·ètes. Si vous parvenez à gagner la confiance des résident·es, iels pourraient vous conduire au labyrinthe souterrain qui s’est développé sous leurs pieds. Des passages clandestins et sinueux où tavernes et petites boutiques s’affranchissent des lois du gouvernement et offrent un refuge aux marginaux·ales. Bien que la structure du lieu (autant géographique que hiérarchique) est brouillonne, ce serait un endroit où les discours incitant à la rébellion seraient entendus avec le plus vif intérêt par les habitué·es…

On raconte qu’Andraste est née ici, bien qu’elle n’y soit jamais revenue depuis qu’elle a commencé à briller à l’Arène. Autrefois un synonyme de fierté populaire, son nom est maintenant prononcé avec mépris par celleux qui l’ont vue partir.

Vous constatez, dans l’atmosphère confinée de la pharmacie, le sillage entêtant d’un parfum qui exacerbe — malencontreusement — votre nausée et parvient à aviver un embarras intérieur plus vif encore devant le dilemme qu'il vous pose : celui de partager, ou non, cette observation à la praticienne qui a accepté de vous prendre en charge, en sachant que vous n'êtes que deux, et que ce parfum ne vous appartient probablement pas.

Une petite dizaine de dispensaires parsèment le quartier de l'Avoué pour répondre aux besoins de sa population. Leur financement reste mystérieux, tout comme les parcours des praticien·nes qui y exercent ou la provenance des médicaments délivrés. Généralement, ces dispensaires se présentent sous la forme de bâtisses grises, discrètes, signalées seulement par quelques panneaux rudimentaires disséminés dans la ville pour guider les résidents. Les plus fortuné·es opteront probablement pour les diplômes fièrement encadrés aux murs et la prudence moins suspecte des médecins et infirmier·ères exerçant à Sonwich, mais pour qui n’a pas les moyens, il n’y a pas vraiment d’autres options.