Waste a day in the happy house
ft Rogue & Ariel
C’est la même routine à chaque visite. Chaque semaine, le chemin se fait à reculons, le visage fermé, les doigts serrés sur les anses du sac, grattant mécaniquement le vernis flambant neuf déjà écaillé, entièrement tendue par le déjeuner. C’est que Jude a toujours su souffler sur les cendres pour réveiller la rancœur. Encore et encore Rogue –si bienveillante! rappelle l’emprise entre deux récits du passé (a-t-elle autre chose aux lèvres que cette gloire qui s’étiole?)
Medea ne peut que redouter chaque fois, comme une machine bien huilée, la journée et son déroulé, les remarques habituelles (si gentilles, bien sûr!), les regards qui coulent (déçus, toujours), toute la comédie mielleuse qui l’étouffe et l'écœure. Pourtant Medea est toujours devant ce portillon, statique, un chien bien dressé, le regard sur cette foutue bâtisse si proche du peuple, son lierre si ingénieusement travaillé sur la façade –faussement négligé, dans un effort d’authenticité que Medea connaît tant (puisque le même effort borde chaque geste de Rogue). Et c’est si risible, comme Rogue n’est qu’une faussaire, comment une seule personne peut encore croire à son authenticité quand le jardinet étale le luxe d’être si joliment soigné, les fleurs toutes trop colorées face au dénuement de l’Avoué ?
C’est toujours de trop, toujours étouffant même sur le pas de la porte. Medea souffle, inspire et expire dans un pitoyable effort pour calmer les nerfs alors qu’elle passe le portillon. Un pas, deux pas et la main abat le heurtoir (bien trop dramatique comme sonnette) avec un grand manque d’entrain dans une dérisoire annonce de son entrée quand les clefs sonnent encore dans la poche de son jean. Un tour et Medea entre, familière aux lieux.
Un regard lui fait vite comprendre qu’arriver un peu plus tôt n’est jamais une bonne idée, puisque Ariel, ce cher chiot prodigieux, n’est pas encore là pour occuper l’espace et laisser à Medea la joie de respirer un peu dans cette terrible maison. Non, il n’y a pas Ariel, seulement Rogue debout dans le salon, déjà prête à l’accueillir, impeccable jusqu’au bout des ongles, bien sûr, comme toujours et c’est agaçant de ne jamais lui trouver une faille dans cette façade si joliment dressée. C’est que bien sûr, Rogue est fausse mais Jude n’est toujours qu’élégance et bonté alors comment se dresser contre elle?
Medea ne peut que se tenir plus droite, marcher prudemment vers sa sœur, la tête haute puisqu’il n’y a qu’avec ces quelques efforts qu’elle peut soutenir le regard de la femme qui l’a élevée.
– Bonjour Jude. Tu as l’air de toujours être en forme.
Et la parade commence. Medea ne demande même plus vraiment comment Jude va, Rogue va toujours bien, disserterait tout de même sur tous les malheurs de ce monde, toutes les difficultés de sa vie si occupée et Medea ne peut que se plier à la mascarade, le regard fuyant déjà vers la porte. Que fait donc son cher neveu ?
– Ariel est en retard ?
Vaine tentative d'orienter la discussion sur tout sauf elle, sur Ariel pourvu que toute l'attention se concentrer sur lui aujourd'hui. Chaque semaine, Medea fait la même prière. Qu’il arrive vite, que tout ce rituel finisse.