dans l'avoué
Qu'il était doux ce sommeil,
sans agitation et sans peur,
sans cris et sans douleur.
Qu'il était doux ce sommeil,
où il avait perçu la douceur d'une étreinte, d'une main sur sa joue, une réconfortante chaleur. Et si étrange c'était, d'avoir sombré si brusquement, alors qu'il lui avait semblé qu'il -non, il avait dormi trop paisiblement. Pourtant,
pourtant sa respiration était lourde à son réveil, comme si quelque chose avait pris sa gorge, comme si quelque chose s'y était coincé, l'avait empêché de parler.
Où je suis ?
J'ai l'impression...
Quelques heures plus tôt il revenait du travail,
il était tombé dans les rues de Bellmoral.
Et là
les yeux qui se baissent sur des menottes détachées ; un lit dans une pièce vide, dénuée de toute présence, juste lui (presque asphyxié par le silence). Ce n'était pas Bellmoral.
...qu'on m'a emprisonné.
Elle lui revenait la voix de cette femme alors qu'il perdait pieds, que sa conscience s'éteignait ; mais pas le moindre souvenir de ce qui lui était arrivé après. Est-ce qu'elle l'avait... est-ce qu'elle l'avait aidé ? Il n'y avait personne. Mais quelqu'un l'avait clairement déplacé -cette femme ? Ses bras qu'il avait senti l'envelopper ce n'étaient pas eux qui avaient pu le porter. Mais alors comment ? Avait-t-elle fait appel à du monde, l'avait-t-elle laissé ? Avait-t-il été trouvé par un ravisseur et ce dernier s'était lassé ?
Il était seul.
Seul
Seul mais pas blessé, aucune égratignure à constater (mais une sensation étrange dans le cœur que ce sommeil t'avait laissé).
Sa gorge,
toujours sa gorge ;
les mains à masser cette dernière comme si elle le chatouillait. Une vibration fantôme de quelque chose qui tentait de s'en échapper et quand Azur fermait les yeux, qu'il essayait de concentrer son esprit sur ce qu'il ressentait ça s'évaporait.
Lentement
le cœur au bord des lèvres
il sentait la panique qui montait. Sentiment d'étrangeté, qu'on avait fait quelque chose à son corps et pourtant impossible de comprendre (de se remettre en tête ce qui t'étais arrivé). L'inspiration passe au travers de sa poitrine bloquée, si lourde et douloureuse (tu aurais voulu crier Azur mais tu savais que c'était pas quelque chose que tu pouvais).
Il scrute autour de lui ;
les battements qui montent,
le regard qui s'affole,
sans réel connaissance de son environnement, mais il se rue sur la porte.
...pas verrouillée ?
Il tombe presque à genoux quand il se jette dehors.
Stupide. Idiot. Calme-toi. Ressaisis-toi.
Affolement démesuré -personne ne l'avait kidnappé. Peut-être qu'on l'avait seulement réellement aidé -alors pourquoi avoir disparu, pourquoi l'avoir laissé à lui-même plutôt que de l'accompagner ? Il ne comprenait pas.
Partir
Je dois partir
Alors que la rue s'ouvrait
que ses pieds foulaient les pavés
dehors c'était l'Avoué -cet endroit maudit de tous, de la présence d'un géniteur qu'il avait à jamais renié, cet endroit qu'il évitait comme la peste comme si des souvenirs plein de douleurs ne pouvaient que l'accabler se rappeler pourquoi ici de tout ces endroits qu'il cherchait à éviter
cimetière de sa voix
ici à jamais enterrée
Atmosphère étouffante
pression suffocante
abandon
présence inexistante
absurdités
voix bloquée
qui ne pouvait pas crier
sa voix
sa voix
sa voix
voix
« ...monsieur... »
Une voix
dans le brouillard de son esprit
(la panique était trop facile Azur, tu n'avais pu qu'y céder)
« Monsieur, vous allez bien ? »
Une voix -une femme.
Mais ce n'était pas celle qu'il avait entendue. Moins sûre d'elle, moins familière -pas de réconfort dans celle de cette étrangère. Ses cheveux éparpillés, sa cage thoracique affolée, la respiration presque sur le point de siffler et ses genoux écorchés alors qu'il s'était péniblement relevé après avoir chuté -il avait tout l'air d'un fou ou d'un captif qui venait de se sauver.
Et elle,
elle approche,
elle tend la main pour l'aider.
« Je vous ai vu courir comme s'il y avait eu un problème, puis je vous ai vu trébucher et... »
« Ne me touchez pas ! »
Encore la panique emporte,
encore la panique fait tracer des gestes dont il ne comprend pas encore le sens. Il repousse la main d'un geste brusque (et ça fait quelque chose Azur, quand tes doigts désignent sa gorge) ; ne l'étrangle pas pourtant,
tombe à la renverse alors qu'il hurle.
Qu'il hurle.
Qu'il... hurle ?
Ça s'était échappé de sa gorge comme une impulsion ; le genre de cri qu'il n'avait pas poussé depuis longtemps. Sans froisser ses cordes vocales, sans causer une douleur à s'en arracher le cœur. Un cri, et rien, un cri et pas de conséquences. Au sol il la regardait,
et elle le regardait,
sous le choc.
(Ce que tu ne réalisais pas c'est qu'elle venait d'entendre sa voix, dans la bouche d'un inconnu, un parfait étranger, comme si Azur toi qui rêve de donner de nouveau corps à ta tonalité tu t'en étais tout simplement emparé)
Qu'est-ce qui venait de se passer...?
(Elle avait l'air de se demander si elle n'avait pas halluciné)
« Pardon, je... je voulais pas... »
Il bégaie -et la voix avec laquelle il s'exprime est claire.
Pas la sienne,
comme un spectre,
(et elle en face a les mains plaquées sur sa bouche comme si elle avait oublié de parler)(qu'elle ne pouvait plus parler)
Volutes qui flottent autour de sa tête,
l'écrasement dans sa gorge se libère, il la sent comme légère. Plus entravée, comme libérée de la pression qui le noyait. Mais ça ne l'aidait pas à se calmer (comment est-ce que tu pouvais comprendre ce qui venait d'arriver ?)
Merde
il devait se relever
avant que d'autres ne les trouvent, qu'elle se mette à crier à l'aide (mais tu savais pas Azur qu'elle pouvait pas, pas encore, t'étais trop sous le choc pour réaliser alors que tu pensais qu'à t'enfuir et à te faire oublier)
Un instant pourtant
il les voit bien,
les volutes de fumée bleutées (comme cette couleur que tu portais) qui s'éloignent et retournent à elle, qu'elle pousse un cri alors que sa voix à lui s'apaise.
Ce n'était pas la sienne.
Comme si je lui avais volée
(Oh oui c'est ce bien le plus précieux que tu lui avais dérobé, ce que tu as perdu et désire depuis tellement d'années)
Azur,
elle reste là et lui,
lui il fuit, se laissant avaler par la nuit. Maudissant les rues de l'Avoué, cherchant à disparaître de ces murs -mais où est-ce qu'il allait pouvoir se réfugier ? La nuit était déjà bien avancée (tu ne pouvais réveiller personne sans les inquiéter).
Il se perd,
au fond d'une ruelle,
le dos contre un mur,
à s'échouer au sol le visage dans les mains, qu'est-ce qui m'arrive, qu'est-ce qui vient de m'arriver, (emprunter une voix) pouvoir pleinement s'exprimer de nouveau c'était trop beau pour être vrai (mais le poids dans ta gorge s'était dissipé quand tout ça s'était révélé)(Azur, ouvre les yeux)(tu peux pas l'ignorer)
qu'est-ce qui m'arrive...
Un fou s'en réjouirait,
mais lui,
à ne pas comprendre,
il était juste effrayé.
(Ça passerait Azur, parce que c'était juste le choc de n'avoir personne pour expliquer)(tout ça, tu sais, tu apprendras à l'apprécier)
Azur se réveille ; la panique l'assiège. Il fuit sans comprendre, sans chercher de réponse, se heurte à une rencontre. Et quand il la repousse sous la peur, sa voix s'élève, lui qui ne pouvait plus crier. Alors il fuit, encore, se perd au fond d'une ruelle sans comprendre ce qui lui arrive.