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Tu as vu plus d'une fois des visages se décomposer en entrant dans le CinéMaX. Les narines se froncent, des plis sévères marquent la bouche, le mouvement des pupilles se fait staccato alors que les yeux rebondissent des tâches qui parsèment la moquette douteuse aux sièges laissant voir la trame de leur velours décati. Le tout s'accompagnant, chez l'un d'une immobilité soudaine, chez l'autre d'un mouvement de recul. Tu ne leurs jettes pas la pierre. Le CinéMaX, comme le dit ton père, est «dans son jus». Ce n'est pas un compliment.

Mais toi, cette odeur si particulière te plaît. Tu reconnais volontiers qu'elle n'est pas des plus plaisantes, mais elle est familière – réconfortante. Ces salles sombres et improbables, ce vestige du passé qui s'accroche envers et contre tout, c'est un peu chez toi. Plus qu'un habitué, tu fais partie des meubles. Tu n'irais pas jusqu'à affirmer que ton compagnon ressent la même chose, mais s'il n'a toujours pas fui après toutes ces années à t'y accompagner…

Vous formez une drôle de paire, Azur et toi. Sa longue chevelure bleue cascadant sur ses épaules, ta tignasse noire ébouriffée; sa peau pâle, la tienne dorée au soleil; ses tenues savamment étudiées habillant une silhouette élancée, toi plus trapu dans tes vêtements amples et solides. Pourtant vous êtes amis depuis le lycée et, malgré vos vies respectives, vous trouvez toujours le temps pour votre petit rituel cinéphile.

Ou, plus exactement, tu l'invites au CinéMaX en échange de son hospitalité pour la nuit.

L'humidité vous a sauté à la gorge à peine sortis du cinéma. Il pleut, bien évidemment qu'il pleut, et cette pluie t'est d'autant plus insupportable qu'elle ne lave même pas la chaleur de l'air. Tu ne supportes cette saison maudite que parce qu'elle annonce le soleil de minuit. En attendant de rassembler le courage nécessaire pour affronter la mousson, vous restez en suspens sous l'auvent, dans les vapeurs lumineuses des néons.

– Alors? T'en as pensé quoi?

Tu as dû hausser un peu la voix, car le silence est rempli exactement du fracas de l'eau qui s'abat sur votre île.




Azur et Zacharie attendent que la mousson se calme à la sortie du CinéMaX. Zach en profite pour demander à son ami ce qu'il a pensé du film qu'ils sont allé voir.
Zacharie
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Ce n'est pas qu'il appréciait le CinéMaX -c'est juste qu'il s'était habitué.
Quand les odeurs peu attrayantes deviennent des éléments familiers ; ou quand les visages qui se décomposent finissent par amuser. En réalité il s'était assez facilement laissé entraîner ici la première fois, parce qu'il pouvait bien faire ça pour son ami. Il avait tendance à se dire que le laisser profiter de son hospitalité ne suffirait pas à lui rendre tout ce qu'il avait déjà fait pour lui. C'était... un monde particulier cet endroit, auquel il fallait se faire et c'était sûr que quelqu'un comme Azur dénotait toujours quand il y mettait les pieds -non pas que ça le dérangeait.
Les films attrapaient son attention plus facilement qu'il le pensait...
Les salles étaient bien vides, souvent, l'immensité d'un cinéma que les deux amis avaient pour eux tout entier et pourtant chaque fois aucun d'eux ne parlait ; absorbés, les yeux rivés sur l'écran, les mots ne servaient que de parasites et seraient adressés à la fin, parce qu'il fallait profiter de l'instant. Il ne riait jamais ; pas plus que son visage changeait. C'était... assez inhabituel parce qu'il était d'ordinaire trop expressif, ceux qui le connaissaient le savaient, mais sous le masque qui cachait ses lèvres et le bonnet recouvrant à moitié sa tête on devinait ce qu'il y avait.
Concentration et fascination.
Chez lui c'était souvent ça quand les traits du visages se taisaient.

Même aujourd'hui et pour ce genre de sorties, dans un lieu au final pas si raffiné, il prenait toujours le temps de bien s'habiller ; emmitouflé debout dans son long manteau blanc, le film était fini depuis longtemps et les voilà tous les deux qui attendaient. En réalité Zacharie embrassait tant la simplicité qu'Azur s'était toujours demandé si la présence qu'il imposait à côté de lui l’embarrassait. Parce que même quand il essayait de paraître quelconque il voulait s'entretenir, mais peut-être qu'il réfléchissait trop ses tenues quand il aurait juste pu ne pas s'en soucier.

Il avait les mains dans les poches et regardait les gouttes tomber ;
les yeux vers le ciel, il avait même osé rabaisser son masque parce qu'il commençait à se sentir un peu trop chargé. Personne aux alentours ne le reconnaîtraient, il n'y avait que Zacharie et lui dans ce cocon de pluie qui les berçait.
Ça pouvait être difficile à croire mais ces sorties le rendaient plus légers.
De deux ans son aîné et pourtant Zacharie ne l'avait jamais jugé ni rejeté, s'étant simplement toujours montré présent, prêt à lui servir d'épaule quand il en avait besoin pour se reposer. Quand Azur adolescent voulait fuir son père c'était chez lui qui se réfugiait, et son soutient tout du long lui avait été salvateur alors qu'ils n'étaient pourtant connaissances que depuis le lycée. Connaissances puis amis,
le chemin s'était naturellement tracé.

« - Hm ? »

Il avait presque manqué de ne pas l'entendre parce que le fracas des gouttes tenait à se faire remarquer. Et d'un pas léger de côté, il s'était rapproché ; parce que Zacharie pouvait hausser la voix mais Azur savait qu'il ne pourrait pas l'entendre si lui n'était pas tout près.

« - C'était... marrant. »

Marrant alors qu'il n'avait pas bronché tout du long, il avait simplement une manière étonnante de s'exprimer ; en tout cas quand il s'agissait de films, ces moments étaient bien les seuls où l'attention qu'Azur leur portait retenait les émotions qui étaient souvent difficiles à garder.

« - Au début l'intrigue avait l'air d'avoir aucun sens mais tout s'est bien déjoué à la fin... C'était... simple, intéressant et beau, pas besoin d'être grandiloquent. »

On voyait sur son visage de nouveau tourné vers le ciel ce sourire captivé quand il parlait ; aussi simples que le film, c'est ce que ses mots étaient, mais ils avaient le but d'être sincères et de ne pas trop s'égarer. Au final il ne fallut pas longtemps pour que son visage retombe devant celui de Zacharie mais cette fois ses yeux portaient la malice, l'amusement ; un petit rire siffla entre ses dents.

« - T'as vu ça... je connais des mots intelligents, moi aussi... Je suis pas aussi stupide que j'en ai l'air... »

En souvenir de ce type qui l'avait pris de haut parce qu'il n'était pas le plus malin ni le plus cultivé... il s'en était tant plein aux oreilles de Zacharie qu'on aurait pu croire que ça l'avait vraiment affecté, mais maintenant, le voilà qui pouffait. Pendant de longues secondes, un petit rire que ses cordes brisées étouffaient mais dont les éclats arrivaient à se faire entendre, jusqu'à ce qu'une accalmie finisse par le rattraper.

« - Et toi alors, qu'est-ce que t'en as pensé ? »

Azur attends à la sortie du CinéMaX aux côtés de Zacharie, contemplant la pluie avant de s'amuser de ses propres mots quand il répond avec plus d'enthousiasme qu'il n'y paraît à la question de son ami.
Azur
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Oui, c'est vrai: vous avez souvent l'impression d'être seuls au monde dans ce cinéma déserté, Azur et toi. Seuls au monde dans le hall immense, seuls au monde dans le dédale de couloirs et d'escaliers, seuls au monde dans les salles obscures où les machines ronronnent et rêvent sur le grand écran blanc. Sur ce bout de trottoir luisant aussi vous êtes seuls au monde, si seuls qu'Azur a baissé son masque – Azur dans ce long manteau blanc qui t'inquiète, mais tout va bien, il est ressorti du CinéMaX sans tache de gras et sans accroc, c'en est presque suspect. Tu sais que toi, tu retrouveras du pop-corn écrasé ou un vieux chewing-gum sur ta veste. Les choses sont ainsi faites.

Tu ris.

– Toujours aussi investi! Tu pourrais faire critique…

Tu le connais Azur, depuis des années maintenant, c'est un peu le petit frère que tu n'as jamais eu, le jumeau de Josetta. À une époque il a dû dormir plus souvent chez tes parents et toi que chez lui. Tu sais qu'il ne faut pas se fier à cette expression figée (absorbée, presque studieuse) qu'il a devant les films. Elle cache un grand moment de vie intérieure qu'il faudra, péniblement, tenter de traduire en mots une fois de retour dans le monde réel – l'étouffante humidité de la mousson.

– T'as vu ça… Je connais des mots intelligents, moi aussi… Je suis pas aussi stupide que j'en ai l'air…
– Mais oui! On va s'arrêter à NNews en rentrant. Le peuple doit savoir!

La pluie se calme-t-elle vraiment ou est-ce ton impatience qui te le fait croire? Tu ouvres grand ton parapluie et risques une excursion hors de votre frêle abri. En un clin d'œil le bas de ton pantalon est trempé.

– Rah, putain! Ça va mettre des siècles à sécher…

D'un bon de chat tu es de retour au sec – façon de parler. Mais vous n'allez pas rester ici jusqu'au prochain Âge, il se fait tard et la faim te taraude.

– On attend encore un peu ou on y va maintenant? Le ciné va fermer et j'aimerais nous acheter à manger pour ce soir.

Te voilà à nouveau sous l'averse qui crépite si fort sur la toile de ton parapluie que tu fais le dos rond et raffermis ta prise. Tu cries presque, dans un vain effort pour te faire comprendre, sachant que tu ne pourras jamais entendre la réponse maintenant que même la pluie parle plus haut qu'Azur.

– En tout cas je suis d'accord avec toi! Je pigeais tellement rien que j'ai commencé à décrocher, la scène du restaurant est arrivée juste à temps. On est d'accord que c'est le frère du héros qui passait dans la rue au moment du flashback?




Zacharie invite Azur à se mettre en route malgré la pluie qui tombe car il souhaite acheter à manger avant de rentrer.
Zacharie
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Machine à rêves

Zacharie le ramenait toujours à la simplicité qu'il aimait.
Quand ils se tenaient sous un porche à attendre la pluie, que le chaos de la voix de son ami se mélangeaient aux gouttes qui tambourinaient derrière ses mots et les rythmaient ; le choix douteux d'un cinéma miteux et le petit arrêt pour manger, avant de rentrer et de passer encore plusieurs heures à parler avant de s'assoupir sur le canapé.
Quand d'autres s'en plaindraient pour une vie plus fantasque, pour Azur, ce quotidien, ce n'était rien qu'un travail de luxe et tout l'argent gagné pourraient remplacer. À tout les deux, leur amitié étaient aussi étrange qu'il l'appréciait ; ils dénotaient l'un et l'autre, Zach que les tâches n'avaient pas épargné et lui dans son blanc immaculé -il s'y complaisait, se disait toujours qu'il n'aurait jamais plus réconfortante amitié.
Comme lui, comme Josy aussi...
Il s'était dit qu'une famille ne se choisit pas mais elle peut se reconstruire, partout où on va.

« - Pfff... J'ai juste l'habitude... Avec toutes les fringues qu'on me fait porter, faut bien que je développe mes capacités d'analyse. Je porte pas n'importe quoi. »

Un autre petit sourire en coin qui se dessine ; et puis il disparaît, la gêne n'arrive pas souvent mais quand c'est le cas, elle n'hésite pas à se montrer sans le ménager. Les joues qui rosissent un peu ; mannequin, modèle, ce n'est quand même pas donné à tout le monde et devant Zach, ça a toujours été différent que de s'en pavaner devant les autres. Il se disait toujours qu'il devait penser à se montrer plus modeste, que ça allait finir par l'ennuyer...
Mais il ne s'en était jamais plaint -aux yeux d'Azur Zach était définitivement indulgent dans sa façon de tolérer tout ce qu'il disait. Peut-être juste parce qu'ils se connaissaient depuis trop longtemps pour qu'une remarque aussi anecdotique et futile ne vienne briser le confort de leur routine.
Installé depuis des années,
c'était presque impossible à casser mais aujourd'hui encore Azur avait du mal à le réaliser.

Les mots de son ami glissent en silence et lui ne peut que sourire, pouffer doucement -sa voix est trop fatiguée pour tant se donner mais Zach le connaît, il sait qu'il ne l'a jamais ignoré.
Ça ne peut sans doute pas être autrement,
parce qu'après tout c'est chez lui qu'il continuait de venir se réfugier.

Zacharie n'entend sans doute pas le petit hoquet de surprise quand il se risque sous la pluie ; mais ce qui est sûr c'est qu'il voit silencieusement Azur se faufiler à ses côtés, soutenant sa décision de ne pas trop tarder pour rentrer. Il connaît la valeur des vêtements qu'il achète et pourtant il n'a pas hésité -son ami verra maintenant qu'il n'est pas le seul à être trempé. D'ordinaire, peut-être que ça l'aurait dérangé...
Mais aujourd'hui c'était un instant plus amusant que tout à savourer.

« - On rentre. »

Clair, bref, assez pour que Zach puisse lire ses lèvres parce qu'il sait que le fracas de l'eau masquera ses mots. Il n'entendra pas Azur mais lui l'entend, entend sa voix qui brave le torrent, ne manquerait jamais ses paroles -il arrive à distinguer tout, avec effort.

« - Je crois que c'était pas lui, justement... Je crois que c'était déjà son doppelgänger mais c'était bref, alors on sait pas vraiment. Beaucoup de scènes étaient incompréhensibles mais en faisant attention aux détails ça va mieux... »

Il se perd dans ses réflexions ;
de toute évidence leurs sorties presque hebdomadaires au CinéMaX avaient finies par le tenir suffisamment investi pour qu'il s'y consacre, même une fois partis. Ils avancent sous l'averse, Zach tiens le parapluie ; il le faisait souvent se sentir comme une princesse à veiller sur lui. C'était son aîné de deux ans après tout et son soutien pendant l'adolescence avait été indispensable -et infaillible. Encore et encore, il se disait toujours qu'il ne lui rendait pas assez bien la pareille, ou peut-être était-ce simplement parce qu'il faisait ses attentes envers lui-même démesurément hautes.
Le pantalon d'Azur se trempe à mesure de leurs pas mais il ne le remarque pas ;
une main glisse dans sa poche,
ses doigts rencontrent un petit obstacle et ils l'entourent. Haussement de sourcil, il se rappelle de l'existence de ce qu'il avait laissé là et finit par tendre à Zacharie une barre de chocolat.

« - Si t'as faim, ça te fera patienter sur le trajet... »

Pour se faire entendre se rapprocher de lui avait été une obligation à cause de la cacophonie des éléments.

« - J'en avais qu'une mais ça me fait plus tant envie. Si je la grignote je perdrais de la place pour le repas... Je préfère que ça arrive entre de bonnes mains. »

Il sourit, pointe d'amusement dans la voix ;
puis finit par attraper la manche de Zacharie avant que son attention ne dévie déjà.

« - Au fait, t'as pas oublié... que je te dois toujours un repas ? Tu dis toujours plus tard, mais c'est toujours toi qui finit par acheter à manger. Laisse-moi faire, pour une fois. »




Azur finit par rejoindre Zacharie sous la pluie, s'accordant sur le fait qu'ils ne devraient pas tarder à rentrer et manger. En cours de trajet, il lui tend une barre de chocolat pour palier sa faim en attente et lui rappelle qu'il doit encore lui offrir à manger.
Azur
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azur ••• sonwich ••• cinémax
Vous marchez tous les deux, côte à côte, le trottoir mouillé reflète tous les néons que vous croisez et qui fument dans la pluie qui tombe, et tombe, et tombe encore. Tu as envie de siffler comme tu le fais pour te tenir compagnie en livraison mais tu peines déjà à entendre Azur. Tu fais de ton mieux pour rester proche de lui, un œil sur ses lèvres pour t'aider à suivre ses paroles, l'autre sur le trottoir. C'est toi qui tiens le parapluie, ce n'est peut-être pas le choix le plus judicieux, tu es le plus petit des deux. Et ledit parapluie s'accroche aux enseignes, laisse tomber des paquets d'eau – son manteau, son manteau blanc, quelle idée de porter ça par ce temps, en cette saison où tout n'est que boue et eau sale…

Azur se perd dans son analyse du film et tu l'écoutes religieusement, marquant ton approbation de hochements de tête tout en slalomant entre les flaques miroirs. Tu aimes le cinéma, mais surtout pour l'évasion qu'il te permet. Après une longue journée de travail semblable à toutes les autres, quand tu as l'impression que tes jambes vont se dérober sous toi, le réconfort des salles obscures est sans pareil; et c'est volontiers que tu te laisses emporter par la machine à rêves, allant parfois jusqu'à t'endormir sur ton siège. Azur, lui, est un esthète: il fait attention à tout, l'histoire, le cadrage, la lumière, le montage. Un sens du détail qui se retrouve dans l'agencement de son appartement, la composition de ses tenues, la composition de ses chansons.

– C'est pour ça que j'aime aller au ciné avec toi. Tu vois plein de trucs que je zappe et t'as toujours un avis super construit.

Le souvenir des nuits qu'il venait passer chez tes parents, quand vous étiez plus jeunes. Vous rentriez ensemble de l'école à la quincaillerie familiale, où l'arrière-boutique devenait votre refuge. Le goûter, les devoirs, le tri des vis, des écrous et des rondelles, l'éventuel coup de main au comptoir ou en boutique pour mesurer une longueur de corde, aller chercher une roulette au fin fond d'un tiroir, indiquer l'emplacement des piles électriques. Puis vous montiez à l'étage et on vous autorisait à manger devant la télévision. C'est peut-être là qu'est né ce rituel du cinéma.

La friandise qui surgit sous ton nez te ramène à l'instant présent et tu ne fais pas de manières pour t'en saisir aussitôt.

– T'es un frère.

N'ayant qu'une main de libre, puisque l'autre manie le frêle rempart entre vous et le déluge, c'est avec les dents que tu déchires l'emballage – et c'est l'emballage entre les dents que tu tentes de protester quand Azur aborde le sujet qui fâche.

– Ajur! tu me laiches chquatter chez toi! Ch'est normal que je paye le repas…

Douloureusement conscient que ton autorité est mise à mal par l'acrobatie à laquelle tu te livres pour manger tout en vous gardant au sec, et tout aussi douloureusement conscient de l'état de tes économies, tu pousses un soupir et annonces, grand prince:

– Bon, OK, mais c'est seulement parce que sinon tu vas râler toute la soirée, et te plaindre à Jo, et après c'est elle qui va me râler après… On mange quoi, du coup? J'ai envie d'un truc frais, là, pour changer… J'en peux plus de la mousson!




Zacharie accepte l'en-cas d'Azur et sa proposition de payer le repas, non sans protester un peu pour la forme. Désormais se pose la vraie question: que manger?
Zacharie
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Machine à rêves

Il faut dire qu'à cet instant Azur ne se souciait pas de la pluie qui glissait dans ses cheveux ou trempait ses vêtements -ce n'était qu'un maigre prix à payer pour profiter de la tranquillité de l'instant. Zacharie, lui, leur amitié si lointaine qui ne s'était pas brisée malgré le recul qu'il avait pris ; Zach qui quand il en avait besoin venait se réfugier chez lui. Oh c'était différent d'Ariel, parce que Zacharie était comme un membre de la famille, comme un frère
(et Ariel c'était le chaos de ton cœur que tu n'admettais pas Azur, bien trop intense et vif pour n'être qu'un frère mais quels mots mettre dessus, comment définir cette amitié amour tu ne savais pas ça)
Légers tous les deux, des maladresse comme laisser Zach porter le parapluie trop petit alors qu'il se cognait dans Azur et s'emmêler dans ses cheveux -mais ça lui arrachait un sourire ces moments, où naissait l'impression que la vie n'était pas si compliquée qu'elle voulait le laisser penser. Et Zach était innocent ; (innocent des luttes de ton cœur Azur, de tes regards sur lui et [/i]), innocent et il ne devait pas en être autrement.

« - C'est juste... le travail qui m'a rendu comme ça. Obligé de faire attention... Je les laisse pas me faire porter tout et n'importe quoi. »

Petit sourire sur le bord des lèvres -il ne mentait pas vraiment. Mais c'est vrai qu'il avait toujours été exigeant. Une robe ? Bien taillée, aux couleurs harmonieuses, il fallait qu'elle lui plaise et lui corresponde. Des sous-vêtements ? Que s'ils mettaient ses formes en valeur et pas grossièrement. Et les photos, chaque photo, il était le premier à remarquer -et protester- quand on effaçait ses imperfections (le grain de beauté juste au dessus de la hanche, difficile de comprendre pourquoi ils le haïssaient tant).
Il s'était toujours dit que c'était peut-être stupide,
avoir autant d'implication.
Tous ces détails et ces petites choses qui accrochaient son regard et sa pensée (on dira souvent « tu t'attardes trop » ou « tu sais, c'était pas si important à commenter »). Mais Zacharie était sincère ; parce qu'il l'aurait déjà su s'il se moquait.  

Puis la friandise s'échappe de ses mains mais c'est cadeau -il n'avait pas faim de toute façon. Petit appétit qu'il avait, il était surtout ravi de pouvoir offrir à Zacharie quelque chose à manger -sa manière à lui de le remarquer.

« - Pas quand... tu fais ça à chaque fois. »

Un haussement d'épaule ;
un sourire mais la lueur dans son regard qui laissait comprendre qu'il ne lui laissait pas le choix.

« - T'as tout compris. Et je suis sûr que t'as pas envie de ça, hein ? »

Le laisser squatter chez lui c'était pas la même chose et Azur le faisait parce que Zach l'avait fait pour lui. Il attendait rien en retour, pas de paiement, pas de remboursement, Zach aussi avait rien attendu de lui.
Parce que quand on avait besoin de réconfort,
n'était-ce pas bien de se voir offrir un toit plutôt que de lutter pour le trouver ? Il tendait la main ; serait toujours là où son ami espérerait le trouver. Tant qu'il aurait besoin d'un refuge, d'un abri -c'est ce qu'il serait. Même si un jour il décidait de disparaître ou de se désintéresser, la porte ne serait jamais fermée.
Jamais
(Mais Azur tu t'autorisais à être un refuge alors que ton refuge à toi, jamais tu ne laisserais personne te le voler)(tu disais « ami » et pourtant tu deviendrais fou rien qu'à l'idée qu'on puisse te l'emprunter)

« - Frais ? Tu veux un truc frai alors qu'il pleut des trombes et qu'il fait super froid... ? » (un petit rire qui se glisse au travers du rideau de gouttelettes, une main qui remet les cheveux en place pour éviter trop d'accidents) « Peut-être, euh... des pizzas ? »

Des pizzas...
Ça avait de quoi être surprenant -Azur qui propose des pizzas. Parce qu'il ne mangeait pas beaucoup, et jamais rien de gras. Alors ça ? À se demandait s'il se moquait -mais non, il ne plaisantait pas.

« - Ça m'arrive de temps en temps. Et on termine sur une glace, c'est... pas trop mal, comme contrepartie. Tu crois pas ? »

Le jeune homme s'était arrêté un instant ; les yeux bleus qui scrutaient les enseignes et dans un élan de nostalgie, sa main tendue en avant. Les gouttes glissaient entre ses doigts gantés et même comme  ça, il en sentait le froid. Mais c'était quelque chose qu'il aimait, comme ça, de voir dans sa vision les néons brouillés par la pluie et l'obscurité floue dans l'horizon.

« - C'est moi qui invite, de toute façon. Choisis ce que tu veux. Et regarde pas le prix, sinon je jure que tu vas m'entendre. »




Après avoir obtenu gain de cause il ne joue pas aux difficiles ;
Azur est prêt à se laisser porter, laissant à Zacharie la liberté de choisir et insistant bien sur le fait qu'il peut choisir ce qu'il veut.
Azur
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En avez-vous jamais parlé? De lui, de toi, de vous, de ça? Te connaissant, Zacharie, sûrement pas. Certes, il n'y a pas grand'chose à dire: Azur n'est pas Alphée, tu n'es pas Ariel. Mais même de cela vous n'avez jamais parlé, ou à peine. Images d'un monde flottant, évasivement convoquées, aussitôt congédiées. Tout se passe comme si, en vertu d'un contrat non écrit, vos conversations devaient se limiter à des choses inoffensives. Le travail, le film que vous venez de voir, le repas du soir, ta famille (jamais la sienne, évidemment), la météo. Mais certains sujets ne sont pas invités dans votre bulle – ce serait risquer de la faire éclater de l'intérieur.

Oui, tout se passe comme si, par un tour de prestidigitation, un étrange processus alchimique, votre réunion renversait le temps. Vous êtes deux adultes avec des activités et des discussions d'enfants, de jeunes adolescents. Même le cinéma où vous vous donnez rendez-vous est figé dans son passé scintillant et vaporeux. Tu ne t'en rends pas compte, Zacharie. C'est ainsi que tu vis, depuis…

Depuis?

«Tu baisseras les yeux à mon passage!»

Surtout ne laisser aucun grain de sable gripper les rouages de cette machine à répéter l'enfance, surtout ne pas laisser la réalité donner un coup de griffe au rêve. C'est ton seul souhait, ton seul cri muet: que rien ne change! Et rien ne peut changer, puisqu'il n'est pas encore revenu comme il te l'a promis. Alors tu souris, imbécile heureux, aux côtés de ton ami de toujours, et quand vous marchez dans les flaques de cette rue si souventefois arpentée, vous êtes des enfants; quand vous vous arrêtez pour acheter vos pizzas, un pot de crème glacée, vous êtes des enfants; quand vous riez des acrobaties auxquelles vous devez vous livrer pour gérer les boîtes, le parapluie, la mousson qui vous tombe dessus et le tram qui manque de vous filer sous le nez, vous êtes des enfants. Quand vous arrivez trempés, fourbus et insouciants à l'appartement d'Azur, que vous jetez vos chaussures dans l'entrée, que vous mangez à même la table basse du salon, que vous parlez encore de petits riens jusqu'à tard dans la nuit, vous êtes des enfants. Comme lorsque vous faisiez des soirées pyjama. Comme avant. Comme toujours.

Pourtant tout change, Zacharie.

Tout a déjà changé.




Rien ne sera plus comme avant.
Zacharie
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