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Et bientôt chacun d'entre nous va dormir sous la terre

5 ans plus tôt ; sous l'Arceau

Yeux bandés et mains liées.

Plongée dans une obscurité de circonstance.

La descente s’était effectuée dans la résonnance singulière du silence ; car nul ne daignait parler — tout juste respirer, à vrai dire ! — comme si l’écho même de leurs respirations irrégulières, en frappant l’air glacé, pouvait déjà trahir les mystères de leur destination. Tout avait été méticuleusement organisé pour qu’aucun d’entre eux ne connaisse l’entièreté du parcours accompli. Pour Ace, qui vivait déjà les mains jointes par des circonstances hors de sa volonté, et surtout avançait dans la vie avec un flegme de somnambule, ce jeu de privation des sens n’était qu’une extension familière de son quotidien.

On lui retira le bandeau une fois arrivée à bon port, et aussitôt, un torrent de lumières papillotantes l’aveugla. Autour d’elle, le tintamarre assourdissant des machines formait une cacophonie de bruits métalliques et de voix humaines, et il lui apparut même que les murs du complexe, jusqu’à son plafond hors d’atteinte, vibraient de concert dans cette chaleur étouffante — une chaleur, alimentée par des corps qui n’étaient plus que des machines aux mécanismes ahanants.

Tous ravagés par la poussière.

Ace n’eut pas le loisir de prendre la pleine mesure de ce nouvel environnement : l’un des miliciens à ses côtés prit la parole, mains crispées sur ses hanches. Ace connaissait son visage, pouvait même lui donner un nom. (Et dans ses souvenirs, cet homme-là n’avait jamais porté l’uniforme.)

« Trente minutes, pas une de plus. Ne te fais pas remarquer par les travailleurs ; ils sont moins productifs quand ils posent trop de questions. Et si ça remonte… »

« Je sais. »

Ace s’empara doucement des deux pans de son capuchon pour le rabattre sur sa tête, assez profondément pour que l’ombre du tissu ne laissât plus qu’émerger la moitié basse de son visage, marqué par des lèvres ourlées de rouge. Après un succinct coup d’œil à ses environs, elle se remémora du chemin sinueux menant au dortoir où l’attendait — très certainement — sa nouvelle charge, et s’y engagea d’un pas résolu.

Ace a donné rendez-vous à Malieana pour l’embarquer avec elle à la surface de l’Arceau.
Ace
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Et bientôt chacun d'entre nous va dormir sous la terre

ft. Ace

Flashback

Souterrains

Image de RP
Des mains moites et une certaine angoisse qui lui tordait le ventre. La petite était assise, sur les marches à l'entrée du dortoir, quelque chose qu'elle n'avait en soit pas pour habitude de faire. La priorité était bien souvent au travail, pour rapporter plus à sa famille, parce qu'en-dehors du travail, c'était l'ennui. Dans les tréfonds des entrailles de la Terre, le travail aussi pénible soit-il, c'est la seule chose qu'ils ont. Mais aujourd'hui, elle était assise, devant l'entrée de son dortoir, à attendre l'arrivée de celle qui devait venir la chercher. Sa sauveuse, sa mère disait. Son futur, son père l'appelait. Elle, elle ne savait pas trop comment l'appeler pour le moment. Mais cette femme allait lui offrir une chance inespérée. Une chance de voir ce dont elle avait lu tant de descriptions dans des livres dont elle ne comprenait parfois même pas tous les mots. Le ciel. Les nuages.

Marianne, elle attendait là, pendant que ses frères partaient au travail avec leur père. Leur mère avait enfin accepté de prendre congé pour son dernier mois de grossesse. Mais elle n'était pas descendue pour l'accompagner. La matriarche savait que sa fille se retournerait, et elle ne devait pas se retourner. Sinon, elle ne partirait pas. Sinon, elle resterait auprès de sa famille, de ceux qu'elle aimait tant, tournant le dos à la liberté, à la chance de devenir quelqu'un d'autre qu'une simple travailleuse. Parce qu'après tout, à quinze ans, et même bien avant, Marianne a toujours voulu faire comme les grands. Les enfants du dessous grandissent bien plus vite, forcés d'aider leur famille, forcés à aller travailler. Mais dans le fond, ce ne sont toujours que des enfants. Sa mère savait qui si elle, elle flanchait, sa fille suivrait, se désisterait.

C'était un pari osé. Parce qu'au fond, quand son ainée était rentrée pour lui annoncer l'offre qu'elle avait reçue, il était clair qu'elle n'avait pas de doutes sur la véracité des propos tenus. Pourtant, rien ne prouvait des intentions de cette "bienfaitrice". Elle donnait son enfant à un avenir promis, mais non-certain. Elle n'aurait jamais non plus de confirmation, aurait à porter le fardeau de savoir que peut-être, elle avait tout bonnement envoyé sa fille dans la gueule du loup, dans un piège quelconque. Tout cela, Marianne n'en avait pas conscience. Elle avait attendu l'avis de sa famille, pour savoir réellement ce qu'elle devait faire. Ses parents avaient parlé, dans une pièce séparée. Elle avait entendu l'inquiétude dans leur voix, mais n'avait pas perçu leurs paroles exactes. Finalement, l'espoir avait eu raison sur le doute. Il a été décidé, que le risque en valait la peine. Alors les au revoir ont été faits la veille, et sa mère s'est chargée de l'adieu le plus difficile, le matin même.

Elle lui avait donné une étreinte, si forte qu'elle était presque douloureuse. Un baiser sur le front, un au revoir d'une voix tremblante. Et avait refermé la porte derrière la jeune fille. Porte qu'elle ignorait si elle pourrait un jour rouvrir. Quelques larmes avaient bien coulé sur les joues de Marianne, mais elle s'était empressée de les essuyer. Ici-bas, on ne pleure pas. On n'a pas le temps pour. Elle s'est contentée de larguer ses angoisses sur la montre à gousset que ses frères lui avaient offert, l'ouvrant et la refermant à répétition. Le cliquetis était familier, une version adoucie, mais semblable au boucan des machines. Elle faisait de son mieux pour graver dans sa mémoire le moindre trait de chacun des visages des siens, parce que jamais elle ne pourrait se le pardonner si un jour venait, où elle aurait oublié à quoi ils ressemblaient.

Son cœur était lourd, bien plus lourd que les charges qu'elle portait habituellement, un poids qu'elle n'avait jamais connu. Tant d'émotions, pourtant toutes si contradictoires les unes des autres, se débattaient dans la tête de la gamine. L'espoir, l'angoisse, la tristesse, l'anticipation. Ses mains abîmées tremblaient. Le regard au sol. Marianne ne l'a pas vue arrivée, mais elle l'a entendue approcher. Des pas sûrs, qui eux, ne semblaient pas avoir le moindre des doutes que la plus jeune avait encore. Elle pouvait encore refuser. Elle pouvait encore retourner avec sa famille. Finir sa vie ici, de la même manière que les autres. Mourir de fatigue, s'étouffer dans la poussière. Entourée par son sang, les siens. Les amis qu'elle s'était faits dans ce lieu si impropice, mais où pourtant, chacun aidait son prochain.

Elle releva la tête, pour trouver des siens les yeux de celle qui aurait désormais sa vie entre les mains.

Emmenez-moi avec vous, s'il vous plaît.

Et pourtant, sa voix n'avait trahi aucun de ses doutes. Ses yeux, brillaient sûrement de plus d'espoir qu'elle ne pensait avoir en elle.



Malieana
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Et bientôt chacun d'entre nous va dormir sous la terre

5 ans plus tôt ; sous l'Arceau

L’objectif d’Ace était clair et simple : ramener l’enfant à la surface, sans poser de questions superflues, sans spéculer sur le sort qu’on réserverait à cette dernière une fois qu’elle leur serait entièrement obligée. C’était là un principe de bon sens pour quiconque exerçait une profession similaire à la sienne ; ne pas s’impliquer soi-même dans une affaire qui ne la concernait pas.

Pourtant, ses yeux s’attardèrent plus longtemps qu’elle ne l’aurait voulu sur les mains éraflées et meurtries par l’ouvrage de la jeune fille. Elle ne put s’empêcher de constater la pâleur blafarde de l’adolescente, puis de prendre note de sa silhouette rachitique — et enfin, de la lueur déterminée qui brillait dans ses pupilles.

Ace préféra se détourner d’elle pour immédiatement reprendre la route.

« Tu ne reviendras peut-être pas ici avant un certain temps. » Pas tant que son dévouement ne serait pas considéré comme absolument acquis.

Mais après avoir fait quelques pas, Ace s’arrêta tout d’un coup pour faire de nouveau face à la jeune fille. Elle tira — d’on ne savait où exactement sous son habit — un manteau à capuchon de la même étoffe que le sien, le déplia pour le draper aussitôt sur les épaules de l’adolescente, puis rabattit la capuche avec une certaine prudence sur les cheveux cendrés de la jeune fille.

« C'est plus prudent. Et ça t'aidera là-haut, si tu n'as jamais été exposé au soleil. »

Satisfaite, Ace accéléra le pas, vérifiant régulièrement que l’inconnue parvenait à la suivre. Le vacarme continuel des machines environnantes — un mélange cacophonique de cliquetis de ferraille et de bourdonnements de chaudières surchauffées — contribuait à un tumulte ambiant qui saurait assourdir leur échange des oreilles plus lointaines et indiscrètes qui pourraient traîner dans les parages, même si elle devait hausser la voix pour être entendue :

« Nous allons emprunter une sortie d’évacuation. Deux autres personnes nous attendent pour nous aider à remonter. Pour des raisons de sécurité, chacun de nous ne connaît qu’une partie du chemin pour remonter à la surface, alors, ça risque de prendre un peu de temps. Toi, tu auras les yeux bandés pendant tout le trajet. » L’agente ne jugea pas pertinent de lui demander son accord ou de s’assurer de son confort concernant ce dernier point : cela faisait partie d’une procédure agréée entre de nombreuses personnes parmi lesquelles elles ne figuraient pas, mais à laquelle elles devaient se soumettre.

Il est temps pour Ace et Malieana de rejoindre les autres agents qui les aideront à regagner la surface.
Ace
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Et bientôt chacun d'entre nous va dormir sous la terre

ft. Ace

Flashback

Souterrains

Image de RP
Marianne n'était pas blessée ou perturbée par l'apparente distance que la dame semblait garder. Elle avait tourné le dos à la plus jeune, marchant avec un pas décidé, la certitude qu'elle serait de toute manière suivie. Si les parents donnaient énormément d'amour à leurs enfants, la vie ici-bas n'était pas propice à dorloter et surprotéger les plus jeunes.

On leur apprenait dès leur plus jeune âge à se débrouiller, à accepter les ordres, pour que plus tard, ils puissent assumer le travail et le rôle pour lequel ils sont nés. Alors elle n'allait pas pleurer pour si peu. Elle se contenta de jouer son nouveau rôle, suivant sa bienfaitrice au pas.

Les mots ne furent pas non plus une surprise. Marianne se demanda alors même si elle reviendrait un jour, si l'espoir même d'un jour revoir sa famille lui était permis, ou si ce n'était là qu'une tentative d'apaiser sa tristesse. Elle la cachait bien, mais dans le fond, elle restait une enfant qui quittait tout. Peut-être que c'était une façon d'essayer de lui offrir un espoir, bien que probablement vain, que les adieux qu'elle avait prononcés n'en étaient pas. Elle choisit donc d'aller dans ce sens.

Je sais.

Alors qu'elle jetait un dernier coup d'œil en arrière, voulant brûler dans sa mémoire une toute dernière fois l'image de ce qui était son véritable chez-elle, peu importe ce qui allait lui arriver désormais, elle manqua presque de rentrer dans la femme qui s'était arrêtée. Un manteau lui fut offert, qu'elle observa avec hésitation. Non pas qu'elle n'en voulait pas, mais plutôt qu'elle n'était pas certaine de le mériter. Dans sa famille, comme dans la plupart des familles, ici, les cadeaux célébraient le labeur. Même les anniversaires, étaient célébrés après une journée de travail, comme récompense. Marianne n'avait pas travaillé, ce jour-là.

Mais elle n'eut pas à y réfléchir longtemps, le manteau étant drapé sur ses épaules, la capuche remontée, lui tombant légèrement sur le front. Il était en tout point similaire à celui de sa bienfaitrice, propre, doux, et dont l'odeur lui semblait étrange. Première fois qu'elle portait quelque chose qui n'avait pas imprégné l'odeur de la poussière, odeur à laquelle elle s'était habituée.

Ah. Le soleil. Marianne sait qu'il existe. Marianne en a lu les descriptions, et pourtant, il lui est si difficile à imaginer. On en dit qu'il est circulaire, mais presque impossible à regarder. Comment sait-on alors qu'il est circulaire ? On en dit qu'il réchauffe, qu'il illumine, et ça, pour un esprit qui n'a connu qu'obscurité, chaleur des machines, et lumières artificielles, c'est impossible à imaginer. Marianne s'apprêtait à laisser sa curiosité prendre le dessus, à poser des questions, mais la femme se remit en marche.

Face à l'explication, la plus jeune hocha la tête, même s'il était désormais trop tard de toute manière pour refuser, pour revenir en arrière. Marianne était courageuse, c'est ce qu'on lui avait toujours dit. La plupart des gamins des bas-fonds l'étaient, plus par habitude que par choix. Ils grandissaient et jouaient au milieu de machines qui causaient souvent de tristes accidents, travaillaient dès qu'il le pouvait alors même que leurs petits corps n'avaient pas même terminés leurs croissances. Pourtant, la détermination ne disparu pas totalement, mais se rangea sur le côté pour laisser place temporairement à une autre émotion. La gamine se trouvait être terrorisée.

Elle voulait le cacher, parce qu'elle ne savait pas trop pourquoi on l'avait choisie elle et pas un autre, parce qu'elle ne voulait pas décevoir, si c'est pour un certain courage qu'on l'avait sélectionnée elle. Mais c'était bien ça, le problème. Elle n'avait aucune réponse, aucune explication. On lui avait fait une promesse, en laquelle elle et ses parents avaient aveuglément décidé de placer leur confiance, mais elle n'avait aucune garantie que ce n'étaient pas que des mensonges. Une fois ses yeux bandés, sa vue obstruée, tout pourrait arriver sans qu'elle n'en ait même la moindre idée.

Madame ? Est-ce que ... Je pourrais vous tenir la main ? Le temps du trajet ?

Si elle n'avait aucune certitude non plus que la femme était honnête, au moins, cela lui assurerait qu'elle resterait bien avec elle. Une maigre façon de se rassurer. Mais bien évidemment, elle ne voulait pas montrer la moindre faiblesse, alors elle s'empressa de rajouter :

Je n'ai pas peur, évidemment ! C'est juste pour éviter de trébucher ou de tomber, puisque je ne verrais pas le chemin.

Avant qu'elle ne doive mettre le bandeau, Marianne leva la tête vers celle qui devrait la guider vers un tout nouveau monde.

Dites ... Comment vous vous appelez ?



Malieana
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Et bientôt chacun d'entre nous va dormir sous la terre

Les mots qui s’échappèrent de la bouche de la jeune fille à ses côtés la surprirent d’abord, un éclair d’étonnement fugace qui se refléta dans le froncement subtil de ses sourcils. Il y eut un silence, après lequel Ace reprit, un sourire ténu aux lèvres — une rapide éclaircie.

« D’accord. Si ça peut t’aider », finit-elle par dire sur le ton qu’elle réservait généralement aux promesses. Son sourire, lent à poindre, s’effaça néanmoins aussitôt au profit de son habituelle indifférence de surface. « Tu peux m’appeler Ace. Tout le monde m’appelle comme ça. D’ailleurs, il te faudra un nouveau nom en haut », ajouta-t-elle avec désinvolture (une désinvolture étudiée, comme si un changement d’identité ne constituait qu’une formalité insignifiante dans le grand cours des choses).

Dépossédée et remodelée aux ambitions des leurs.

Elles s’arrêtèrent quelques minutes plus tard devant deux hommes en uniforme ; leurs visages impassibles et leurs tenues de serviteurs de l’ordre mettaient une curieuse forme d’ambiguïté à cette escapade secrète. Ace s’avança et reçut deux bandeaux des mains d’un des gardes. Un pour elle, l’autre pour sa jeune compagnie. Elle se rapprocha silencieusement de cette dernière :

« Dis-moi si ça serre trop », commença l’agente d’une voix plus précautionneuse, en plaçant le tissu noir sur les yeux de l’adolescente — prenant le temps de replacer, du bout des doigts, quelques mèches indisciplinées —, avant de marquer une légère hésitation, puis de serrer plus fermement le nœud. « On y va ? »

Elle lui présenta sa main avant de réaliser que celle-ci, privée d'un sens, ne parviendrait pas à deviner son emplacement.

Et si Malieana allait découvrir au bout de ce chemin de lumière un renouveau plein de vertige, son aînée, déjà coutumière des tableaux qui les attendaient à la surface, n’était nullement affectée. Ace saisit la main gauche de son interlocutrice dans la sienne, sans prêter attention à l'éventuelle nervosité de cette dernière devant l’accélération soudaine des événements, pour entamer leur périple silencieux en avant — au-delà.


Ace et Malieana entament leur voyage pour remonter au-delà.
Ace
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