Veritas

Vous vous souvenez encore de votre première visite sur ce site, de l’émotion qui s’était emparée de vous quand vous avez franchi l’arcade principale servant de portail au domaine universitaire — car toustes les parents de l’Arceau rêvent d’y envoyer leur progéniture, et peut-être avez-vous nourri des ambitions similaires dans votre jeunesse. Avez-vous porté l’épinglette du Collégium (une plume sur un livre ouvert) ? L’avez-vous agrafée à votre veston après avoir triomphé des nombreuses épreuves d’admission, à l’instar des étudiant·es qui déambulent fièrement dans les promenades piétonnes du domaine ?

Au Collégium, c’est la splendeur et l’élégance (et une préoccupation un peu obsessionnelle de la symétrie) qui sont les maîtres-mots du style. Chaque édifice est surmonté de frontons triangulaires et s’aligne dans le prolongement d’une impressionnante allée centrale menant au domaine administratif, leurs baies vitrées encadrées de vieilles pierres chargées d’histoire. Vous et bien d’autres de votre génération considérez l’architecture des lieux comme « obsolète », ce qui est légitime : colonnes torsadées, entablements ornementés, arcades en enfilade et reliées en demi-lune, bordures de buis constituant les jardins du Collégium — l’ensemble représente le patrimoine des siècles passés, et de nos jours, on hésiterait à consacrer autant d’espace à des ouvrages construits sans souci d’efficacité spatiale.

Au cœur du quartier des sagesses, la Cour de Justice s’élève comme l’incarnation tangible de l’épine dorsale juridique de la cité. L’entrée est constituée par une arche cyclopéenne, surmontée d’une devise ciselée dans la pierre calcaire, et flamboie ainsi en lettres d’or : « La Justice est mère de l’Arceau », une profession de foi qui correspond aussi au serment que prêtent les serviteur·es de la Cour au moment de leur investiture.

Le bâtiment se déploie sur un seul étage et présente dès l’entrée principale un vaste espace à ciel ouvert où pas et voix des visiteur·euses et des justiciables se mêlent librement. C’est autour de cette aire centrale que s’articulent diverses extensions de la Cour, de sa Cour d’assises où les dossiers les plus graves sont jugés, aux multiples salles d’audience réparties de part et d’autre de la construction pour accueillir les plaidoiries et les délibérations quotidiennes des citoyen·nes.

D’autres espaces dédiés à des aspects plus méconnus de la justice se dissimulent derrière des vestibules sommaires, mais ne suscitent généralement pas l’intérêt du public (dont le vôtre).

Lieu d’étude des érudit·es locaux·ales, la bibliothèque municipale se distingue par sa configuration résolument circulaire sur plusieurs niveaux. L’intérieur baigne dans une lumière diurne quasi constante grâce à de vastes parois vitrées qui offrent de prime abord une vue panoramique sur l’environnement extérieur. Cependant, ces panneaux transparents ne sont en réalité que des écrans de projection diffusant une image statique (et un peu dépassée !) du paysage, les bâtisseur·ses conscient·es de la nécessité de préserver les collections de l’Arceau des dommages causés par la lumière du jour.

Parmi les points d’intérêts qui s’y trouvent, le troisième niveau abrite un espace dédié à l’informatique, où s’alignent de longues rangées d’ordinateurs. Ceux-ci permettent la consultation d’une multitude de documents numérisés, soigneusement répertoriés sur le portail intranet de l’Arceau. Néanmoins, l’accès à certains dossiers sensibles est restreint et nécessite l’utilisation d’un mot de passe détenu par quelques administrateurices dont l’identité demeure secrète. (Vous n’en faites pas partie.)

Dans son ensemble, la bibliothèque est généralement peu fréquentée, comme en témoigne le silence presque conventuel qui y prévaut, quelquefois interrompu par le cliquetis rythmé des touches de clavier en arrière-plan et la résonance de quelques toussotements timides. Un des ascenseurs mènerait à un niveau souterrain, mais l’accès à celui-ci nécessiterait un badge spécifique. Sans doute encore plus de livres poussiéreux.

Vous approchez de l’imposant édifice bordant le Collégium — un bâtiment aux lignes nettes et angulaires ne présentant aucune fenêtre, complètement uniforme —, avant d’être interpellé·e par des gardes en faction. L’accès est catégoriquement réservé aux initié·es, et malgré vos questions, aucun d'elleux ne semble disposé·e à vous éclairer sur les procédures permettant de le devenir. Des rumeurs qui vous parviennent, et de la vision du flot incessant de scientifiques en blouses blanches qui en entrent et sortent, vous vous doutez quelque peu de l’importance du lieu pour les autorités.

Soudainement, une silhouette apparaît à vos côtés : une femme qui arbore un couvre-chef d’une exubérance incroyable (captant immédiatement votre attention). Les lèvres de l’étrangère se courbent en un sourire aimable tandis qu'elle vous toise silencieusement, puis elle disparaît derrière les portes automatiques de l’immeuble avec la déférence curieuse des gardes qui ne lui disent mot. Vous êtes certain·e de l’avoir déjà vue quelque part.

Le seul bruit qui trouble la tranquillité des allées éclairées du musée est celui produit par la serpillère saturée d’eau du concierge, qui esquisse des arabesques savonneuses sur le sol poli, l'indolence du geste traduisant son ennui. Une lueur agacée apparait dans son regard tandis que son attention se porte sur vous, plus précisément sur vos chaussures.

Le Musée des Archives Historiques et Artistiques (MAHA) se définirait comme un sanctuaire dédié à la préservation, à la sauvegarde de la culture... Ses collections, conservées avec soin, regorgent ainsi de toiles, de sculptures et de textes précieux, attestant de l’évolution de l’art à travers les Âges. Les enfants de l’Arceau sont souvent prié·es d’assister aux rétrospectives temporaires organisées par le personnel du musée au rez-de-chaussée, même si toustes appréhendent le passage nécessaire par la galerie de l’Anatomie pour s’y rendre. C’est qu’elle y expose l’ossature colossale de plusieurs mètres d’une créature plus terrifiante que mystérieuse, et surtout encore non identifiée à ce jour.

Aux étages supérieurs, on trouve une succession de galeries aux murs en tôle d’acier, où sont disposées avec la plus grande minutie les réalisations de visionnaires des siècles passés. Parmi les œuvres qui parent ces couloirs, « Le Reflet de l’Éternité » du peintre inconnu D’Argentis est un incontournable ; une toile grandiose représentant une créature fluorescente (et sans nul doute fantaisiste !) plongeant dans les profondeurs insondables de l’Albâtre. Et n’oubliez pas « Les Désintéressés », double sculpture en bois de Verona, où deux figures aux émotions contradictoires ont été sculptées sur des côtés opposés, illustrent parfaitement le pourquoi de la fascination autour du mouvement divergentiste du IIe siècle. Rien à voir avec ce qui se fait actuellement…