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TW : Alcool, vomi

Edgar ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il avait réellement bu pour se saouler. D’habitude, il jouait un rôle et contrôlait ses consommations pour rester un tant soit peu lucide pendant qu’il grattait des infos à des recrues fraichement arrivées chez la police.

Mais ce soir, son moral peinait à tenir la route. Cela faisait des semaines qu’il bloquait, qu’il ne trouvait aucune piste sur les affaires internes des flics. Ça l’agaçait furieusement, et remuait le couteau de l’impuissance dans son ego déjà meurtri. L’envie lui venait parfois de farfouiller dans son cerveau et de retirer la partie qui le faisait se sentir aussi misérable, juste pour croire à nouveau qu’il ne lui pourrait rien lui arriver. Il voulait se sentir invincible, rien qu’une fois.

Sa silhouette débraillée errait le long des trottoirs de Sonwich, bouteille à la main. Il était fatigué, tenait à peine debout. Manquant de s’effondrer, il posa son épaule contre un lampadaire et se laissa mollement glisser au sol, son visage larmoyant plongé dans la paume de sa main. Il resta là un moment, enfermé dans ses pensées jusqu’à se laisser happer par le royaume onirique.

En face de lui se tenaient des silhouettes aux visages troubles, comme de la peinture fraiche sur laquelle on aurait passé un doigt mouillé. Quelques-unes d’entre elles étaient en uniforme, d’autres étaient plus ambiguës, probablement des camarades de classe ou des membres de sa famille. Que diraient tous ces gens s’ils le voyaient aujourd’hui ? ils le trouveraient ridicule, sans doute. Il se sentait déjà ridicule, étalé par terre comme il l’était, incapable de se relever. Des voix indiscernables tournaient autour de lui, comme mille critiques de ses échecs qui le harcelaient à tout instant.

Puis il vit la lumière au-dessus de lui, comme une porte de sortie, une échappatoire vers d’autres horizons qui transcendent la raison humaine. Peut-être fallait-il suivre la lumière dans ce cas…

Puis il sentit une main dans son dos, une pression rassurante qui lui fit lentement relever la tête. Il vit le contour d’un visage dans la lumière, un faciès féminin qui semblait lui dire que tout irait bien. Les nerfs d’Edgar flanchèrent, tant par la fatigue et la nostalgie que par l’étrange inspiration que lui portait cette Pietà incongrue où la beauté du divin semblait enfin l’atteindre. Il versa une unique larme en tendant la main vers le visage au-dessus de lui.

« Maman ? »

Il cligna des yeux, se rendit compte que la lumière du lampadaire lui faisait mal aux yeux et que face à lui se trouvait non pas le visage de sa génitrice, mais d’une parfaite inconnue. Éberlué, il fut ramené à la raison par un rot sinistre qu’il s’efforça de retenir avant de pousser la femme pour l’écarter et renvoyer tout ce qu’il avait bu ce soir dans le caniveau sur le bord du trottoir. Une bonne soirée de merde, en somme. Du revers de la manche, il s’essuya la bouche et se tourna à nouveau vers l'inconnue.

« Z’êtes qui au juste ? »
Edgar
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paradis artificiels

accroupie dans l'ombre, les bras ballants, la tête dodelinante, elle regardait passer les passants d'un air absent. de là où elle se trouvait, son champs de vision s'étendait sur une bonne partie de l'artère principale qui menait au coeur de Sonwich. de là où elle était, il aurait fallut savoir exactement où regarder pour la croiser du regard.

tapie comme un démon plus que comme un être humain, pupilles noires valsantes de gauche à droite, de droite à gauche. de son promontoire, elle finit par descendre. les os de ses chevilles craquèrent légèrement à la réception, envoyant dans son corps une trainée électrique ; micaiah était restée inactive trop longtemps.

sous la lumière du réverbère d'en face, un papillon de nuit s'était laissé tromper par l'idée d'un soleil artificiel. jour artificiel offrant un salut brillant - mais éphémère.
en cela, l'alcool était semblable au réverbère.
paradis artificiel dans lequel plonge les hommes qui ne croient plus en rien, même pas eux-même. Mica posait une main délicate sur un fragile papillon.
l'idée de l'écraser contre le bord du trottoir lui vint, abréger les souffrances des damnés.

mais elle se contenta d'émettre une petit rire sonore lorsqu'il l'appela "maman". lorsqu'il vomit son dû, elle récupéra une petite serviette-éponge de son sac. « elle est propre », dit-elle en la lui tendant d'un main - pas qu'il en ait quelque chose à faire à ce stade réalisa-t-elle.
« certainement pas votre mère, à moins que c'est d'elle dont vous ayez besoin pour combattre ce qui vous pousse à boire jusqu'à dégueuler dans un caniveau, auquel cas mes prédicats me tournent vers le rôle d'une oreille attentive... et si pour cela vous devez m'appeler maman, ainsi soit-il mon enfant. »
Lui seul sait ce qui fait mourir le cœur des autres, Micaiah ne peut que deviner au détour d'une phrase, d'un secret à demi avoué. elle conservait un sourire placardé sur son visage, bienveillant, une pointe de mépris en arrière-goût tout de même. l'odeur était âcre et enveloppait toute la zone autour du lampadaire.

« je suis médecin, aussi. laissez moi vous aider à vous asseoir, je vais regarder comment vous vous en sortez en dehors de l'abus d'alcool. »
et sans attendre, elle déposa son sac et y récupéra un petit kit de premiers soins.
Micaiah
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Elle était bizarre. Les gens qui s’arrêtent pour aider les ivrognes égarés dans la rue essaient de vous recruter dans une secte, c’était ce qu’il avait toujours pensé. Néanmoins, il n’allait pas dire non à un coup de main pour se nettoyer sans dégueulasser encore plus sa veste. Edgar se saisit donc mollement de la serviette avec un regard empli de suspicion à l’encontre de sa sauveuse et essuya consciencieusement ses lèvres et leur contour immédiat avant de lâcher un soupir et de s’asseoir par terre, un genou remonté sur lequel reposait son avant-bras.

L’inconnue débitait des choses qu’Edgar aurait préféré entendre de la part de quelqu’un d’un peu moins sobre. C’était particulièrement gênant de se voir offrir une essaie de jeu de rôle malsain par une nana comme elle. Il voulut la faire taire, mais elle proposa soudain ses services de médecin. Hors de question qu’elle le palpe comme si ça allait aider.

« J’ai sans doute un poil de cholestérol mais sinon rien de grave. Je me suis pas cogné non plus, si c’est la question. »

Il joignit son index et son majeur et les plaça sous sa carotide où il sentit le battement lui signifiant qu’il était en vie. Entreprenant de compter une minute, il leva son bras gauche pour y découvrir son poignet désespérément nu. Mettant à profit ce bras désormais inutile à sa prise de pouls, il se massa les rides du lion en expirant sa frustration.

« Quelle soirée de merde… » il se saisit d’un paquet de cigarettes qui trainait dans sa poche et entreprit d’en allumer une. « Sinon, vous m’avez toujours pas répondu. Et pas la peine d’encore me dire que vous voulez bien être ma mère. Déjà c’est bizarre, et puis c’est pas comme si elle pouvait faire quoi que ce soit pour aider… »

Un cocktail répugnant d’amertume et de nostalgie commençait à se faire sentir dans la voix d’Edgar. Il tira une latte en regardant le ciel nocturne, puis tapota la cigarette pour faire tomber les cendres. Son regard était fuyant, presque honteux.
Edgar
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paradis artificiels

son papillon de nuit éméché s'avéra peut enclin à la coopération ; elle n'en fit pas grand cas et, accroupie à sa hauteur désormais, reposa le kit devant elle sans se défaire de son sourire. ses iris clairs suivaient sans ciller les mouvements erratiques et mal calculés que l'homme avait décidé d'entreprendre pour prouver une forme de compétence concernant sa propre capacité à évaluer son état de santé.
Mica le fixait comme on fixe un enfant sur le point d'entreprendre une tâche visiblement trop complexe pour lui, avec une sorte de malice propre à l'acceptation de la catastrophe à venir.

à défaut de pouvoir l'examiner convenablement, elle l'observa avec soin, de haut en bas, nota son teint cireux, son physique abîmé, son état général relativement pitoyable mais, ne remarquant pas de blessures externes visibles, choisit de remettre une tentative d'examen à plus tard. peut-être. poser ses mains sur cet homme n'avait rien d'attrayant - si ce n'était pour cette petite chose dans son crâne qui avait faim de violence.

« vous êtes quasiment assis dans votre vomi et vous venez de me confondre avec votre mère, mais c'est moi qui suis bizarre...  » une pointe d'ironie s'immisçait entre les mots.

« Micaiah. » finit-elle par dire sur un ton plus agréable. « vous êtes dans un état d'ébriété avancée, il est parfois plus simple pour certains patients ayant abusés de substances altérant la perception de la réalité de...  » elle s'arrêta dans son explication et balaya l'air devant elle. déformation professionnelle.

« quel nom votre mère vous a donné ?  » elle riait du coin de l'œil, tout en gardant un forme de contrôle sur son expression. quel misérable être humain, pensa-t-elle. elle aurait presque pu se prendre d'affection pour un tel spécimen, si seulement les vapeurs méphitiques que dégageait le vomi avait été moins agressives pour les narines de la rue entière. « vous savez que fumer n'arrangera pas votre état... »

elle continuait de sourire, immuable figure angélique au milieu d'un tableau triste et puant.
Micaiah
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Une autre volute de fumée s’échappa des poumons d’Edgar, un second nuage chassé de son esprit et de son corps et qui se dissipait dans le ciel nocturne. Il ne se souvenait pas exactement de la période où il avait commencé à acheter des clopes, mais il se souvenait de la raison. Et elle était stupide, quand on y pense.

« Edgar. » répondit-il sur un ton nouvellement sérieux et apaisé.

La cigarette, c’était un marqueur social. Une façon d’intimer à autrui de ne pas s’approcher plus près que la fumée, et en silence, surtout. Il en avait besoin à l’approche de ses congés, rester seul pendant ses pauses lui laissait le temps de se recalibrer pour le reste de la journée. Au final, ces pauses étaient devenues méditatives : la tourmente de ses pensées incessantes prenait soudainement une forme plus ordonnée. C’était une nécessité, de plus en plus prenante. Il trouva enfin une réponse aux inquiétudes de Micaiah sur son tabagisme.

« Et j’utiliserai tous les poisons de ce monde et du suivant pour abattre la bête qui rôde dans la pénombre de mon âme… » déclara-t-il d’un air exagérément théâtral, en agitant sa main libre. « Le Timonier, un super film. »

Le sourire nouvellement formé sur son visage était mi-moqueur, mi-thérapeutique. Il trouvait ridicule le soin qu’elle tentait de lui apporter, tout comme il trouvait ridicule de flâner par terre à à peine un mètre de son vomi. La situation était tout aussi pathétique que celle dans laquelle se trouvait le fameux timonier au début du film. D’un autre côté, c’était réconfortant de se comparer mentalement à ce personnage, cela voulait dire qu’il pouvait prendre la situation comme si Micaiah était son équivalent du navigateur, pour cette soirée tout du moins. Il prit appui sur ses genoux et se releva en étirant ses bras comme s’il venait de se réveiller.

« Vous savez ce qui me ferait aller mieux ? un bon café.  Je vous l’offre si ça vous dit, on va dire que c’est pour avoir été sympa et avoir essayé de m’aider. » offrit-il en écrasant son mégot par terre.

Le navigateur, c’était l’ami providentiel du timonier, qui lui indiquait le droit chemin à travers la mer de brume pour voir l’autre monde empli de clarté. Pour une fois, Edgar se disait que positiver ne pourrait qu’arranger les choses.
Edgar
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Edgar, répéta-t-elle doucement. il était étrange de croiser quelqu'un dont le prénom avait une sonorité approprié à son porteur. edgar avait l'air d'un edgar et edgar renforçait l'effet étrangement comique qu'il portait sur lui comme un plaid miteux.

une mère ayant fait un choix de prénom avisé, pensa-t-elle brièvement.
sa mère à elle n'avait pas choisit son nom, trop défoncée pour pouvoir aligner deux syllabes convenablement juste une petite dizaine de minutes après l'accouchement. c'était elle qui avait choisi, peu de temps après avoir atteint la majorité. une formalité administrative et tout un pan de sa vie réduit à un lointain, vague souvenir.

elle s'étonna d'un léger mouvement vers l'arrière de la prestation théâtrale mais applaudit brièvement lorsqu'il eut terminé. suivit le mouvement en se redressant, retirant du bout des doigts les poussières et gravillons qui avaient élus domicile dans les plis de sa tenue. elle reprit son sac, l'enfilant par-dessus son épaule.
des passants s'étaient arrêtés brièvement de l'autre côté de la rue pour observer d'un air curieux avant de se lasser au bout de quelques secondes du spectacle. Mica pensait à reprendre sa petite escapade nocturne.

« un café ? à cette heure ? j'espère que vous n'êtes pas cardiaque. » elle se moquait sur un éclat de rire clair, considérant la requête une poignée de secondes.
chaque part d'elle pesait le pour et le contre.
prendre un café. une activité mondaine, insignifiante, quotidienne pour certains. pas pour elle. elle ne partageait rien.

« très bien, allons-y pour un café. au moins, je serais proche de vous si vôtre coeur décide de lâcher. » elle étendit son bras devant elle, exécutant une petite révérence. « je vous suis, Edgar. »
la lumière artificielle rendait la scène plus qu'étrange et, quelque part, Micaiah avait accepté que tout ça n'était qu'une sorte d'hallucination.

Micaiah
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Ils marchèrent une dizaine de minutes, histoire qu’Edgar prenne le temps de recycler l’air rance qui emplissait son nez et sa bouche et qu’ils trouvent un café encore ouvert. On était déjà au milieu de la nuit, les établissements commençaient lentement à dégager les clients les plus sobres, histoire de faire un premier brin de ménage et de soutirer leurs derniers vivias à ceux qui avaient le plus de verres sur les tables.

Il trouva un bar un peu craignos à l’angle d’une rue, le dernier qui acceptait encore de les servir, et y invita Micaiah. Il la laissa commander en première et demanda un double espresso une fois son tour arrivé. Soudainement, Edgar réalisa qu’il n’avait pas su faire la conversation de tout le trajet et que le silence devait devenir gênant pour son interlocutrice. C’était étrange. Ça ne le choquait pas d’habitude, il avait plutôt tendance à prendre tout le monde pour des trouducs et à les ignorer, sauf quand il était sous l’emprise de l’alcool. Pourtant il se sentait terriblement lucide.

« Vous avez l'air sacrément jeune, ça fait combien de temps que vous êtes médecin ? »


C’était sorti tout seul. À tel point qu’il s’en étonna lui-même. Pourquoi avait-il autant envie de faire la causette ? Il profita de l’arrivée de son café pour distraire son esprit par l’amertume du breuvage et se renfermer dans ses pensées.

Puis il regarda autour de lui. Le bar était vraiment en mauvais état, on pouvait presque déterminer l’âge du bâtiment simplement en regardant les murs, et le patron semblait au moins tout aussi antique. Pourtant, tout ça lui semblait plus authentique que pas mal d’endroits où il s’était pointé ces dernières années. Il avait du mal à comprendre pourquoi. Ou peut-être s’obstinait-il à refuser d’admettre qu’il voyait dans le CinéMaX, dans ce bar et dans sa propre vie les traces vieillissantes d’une époque qui lui manquait furieusement. Rien que d’y penser faisait monter en lui une immense mélancolie, mélangée à…

Ah oui, il se sentait terriblement seul.
Edgar
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